Critiques sur le Castel Béranger

 

  Critiques négatives par Jean Rameau

La proclamation des résultats du concours de façades en 1899 relance le débat sur le Castel Béranger. Je me suis empressé d'aller porter mes hommages à la première lauréate  que les journaux signalaient à Auteuil, dans la rue du bon La Fontaine, et ce petit voyage m'a enchanté.

Elle est charmante la première lauréate. Elle est surtout d'une originalité intense. D'abord, elle n'a pas de petits carreaux, ce qui est  déjà bien subversif. Puis, pour du style nouveau, voilà certes du style nouveau. Il paraît que cette maison était déjà célèbre dans le pays. Des Anglais passaient le détroit pour venir la voir.

On l'appelle à Auteuil la Maison des Diables. Ce nom est assez justifié ! Il y a, du rez-de-chaussée à la toiture, une folle ascension de figures

grimaçantes, de groupes fantastiques, où l'artiste voulut peut-être représenter des chimères, mais où le populaire voit surtout des démons, et qui font se signer à vingt pas toutes les vieilles femmes de l'arrondissement.

Il y a des diables aux portes, des diables aux fenêtres, des diables aux soupiraux des caves, des diables aux balcons et aux vitraux, et l'on m'assure qu'à l'intérieur, les rampes d'escalier, les boutons de fourneaux, les clés des placards, tout, depuis le salon jusqu'à l'office, est de la même diablerie.

Si Dieu ne protège plus la France, le diable du moins semble protéger Auteuil.

Parisiens dormez en paix.

Jean Rameau

Journal  « Le gaulois »

3 avril 1899

 

  Critiques positives par Paul Signac

Le Castel Béranger n'a de romantique que sa dénomination; c'est un très moderne immeuble de rapport à trois corps contenant une quarantaine d'appartements.

Sa façade, au lieu d'être l'habituel rectangle, percé d'ouvertures symétriques, est multiple: la brique rouge ou émaillée, la pierre blanche, le  grès flammé, la meulière s'y disposent en pans inégaux et en teintes variées sur lesquels grimpent, teintés d'un unique bleu-vert, le fer et la fonte des balcons, des bow-windows, des ancres de chaînage, des tuyaux, des chêneaux, et les boiseries, d'une teinte identique, mais à un ton plus clair.

La porte d'entrée en cuivre rouge étincelle le vestibule n'a rien du banal vomitoire acajou en faux-marbre : les grès flammés de Bigot, le cuivre, la tôle découpée, la mosaïque de grès cérame, la fibrocortchoïna le revêtent somptueusement; les escaliers n'ont pas la sournoise gravité de celui de Pot-Bouille : ils sont hardiment orangés bleu ou vert, les murs recouverts de cordolova et d'étoffes aux arabesques dynamogéniques, les marches tendues de tapis aux entrelacs escaladeurs.

Chaque appartement a son caractère particulier: le bourgeois, le travailleur, l'artiste, le smart y peuvent trouver ce qui leur convient; l'amateur des jardins y peut satisfaire ses goûts grâce aux plates-bandes du rez-de-chaussée ou des terrasses supérieures.

Paul Signac

Journal « La Revue blanche »

15 février 1899

Tableaux de Paul Signac

 

Le dîner

Saint Tropez

 

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